Agroécologie : nourrir le monde durablement, c’est possible !

Meli BEAL
Blog de SPEAR
Published in
7 min readSep 28, 2017

--

L’association Fermes d’Avenir organisait le mois dernier un tour de France pour sensibiliser le public et valoriser les producteurs qui ont fait le choix de l’agroécologie et de la permaculture. Depuis peu, SPEAR a clôturé deux collectes pour les projets « A la Source » (Lyon) et « Rose Betterave » (Armentières), des épiceries engagées pour le zéro déchet qui font la part belle aux produits issus de l’agriculture biologique. La deuxième révolution verte est en marche et cette fois, elle est vraiment verte : les initiatives autour du bio et du « consommer responsable », de plus en plus nombreuses, se diffusent largement, tandis que le modèle de l’agriculture conventionnelle est remis en cause pour son impact sur l’environnement et sur la santé.

credit : Alexandr Podvalny (Unsplash.com)

Seulement, si les alternatives sont nombreuses, elles se déploient en premier lieu à l’échelle locale, en parallèle de ce modèle de production industriel qui est devenu la norme. A tel point que la plupart des gens estiment que l’on ne pourrait, fatalement, plus s’en passer.

Est-ce qu’il ne serait pas possible de remettre cela en cause, de « revenir » à une agriculture durable, qui préserve l’environnement plutôt que de contribuer à le dégrader… tout en réussissant à nourrir les 9 milliards d’individus qui peupleront le monde en 2050 ? Et si on vous disait que oui ?

Un modèle dépassé

Le modèle agricole “productiviste”, qui domine aujourd’hui, s’est développé dans les années 1960 afin d’accompagner le boom démographique par l’augmentation du volume de production agricole, notamment des céréales. Et ça a marché : en Asie par exemple, grâce à la « révolution verte », le rendement agricole a augmenté de 50% dans les années 1960, ce qui a permis de sauver des millions de personnes de la famine. Mais ce développement s’est fait au prix de graves conséquences sur l’environnement, dont l’ampleur est telle qu’elle ne peut plus être niée de personne : épuisement des sols, pollution de l’eau, réchauffement climatique, et conséquences dramatiques sur la santé humaine.

Ce modèle s’est développé en faisant de l’agriculture une industrie, parallèlement aux politiques de subventions et surtout à l’ouverture des frontières, permettant aux groupes d’exploitation les plus compétitifs d’inonder le marché mondial de produits à prix très faibles. Cela a eu pour effet de marginaliser les petits producteurs, qui ne font pas le poids sur les marchés mondialisés. Une situation particulièrement dramatique dans certains pays, où la pauvreté des campagnes incite les paysans ruinés à rejoindre la ville, engendrant un « sous-prolétariat urbain » qu’il faut bien nourrir… en important de la nourriture à bas prix, ce qui fragilise encore plus les revenus des petites exploitations. (Olivier de Schutter, ancien rapporteur de l’ONU sur les questions d’agriculture et d’alimentation).

Si l’on s’accorde volontiers sur le fait qu’il faut « raisonner » l’agriculture et le recours aux pesticides et autres intrants chimiques (l’INRA estime que l’on pourrait diminuer leur usage de 30% sans diminuer la production), la majeure partie de la population reste convaincue qu’il est impossible de s’en passer complètement. D’après les estimations de la FAO, il faudrait en effet produire 60% de plus en 2050 pour nourrir le monde.

Mais aujourd’hui, un tiers de ce que l’on produit est gaspillé. Avec ce que l’Europe jette à elle seule chaque année, on pourrait nourrir un milliard de personne, ce milliard précisément qui souffre de malnutrition aujourd’hui. On voit bien que l’équation est mal posée : pourquoi produire plus, alors que plus l’on produit, plus l’on gaspille, et plus l’on détruit le sol et appauvrit les régions rurales incapables de faire face à la concurrence des marchés internationaux, alors mêmes que celles-ci disposent des ressources nécessaires pour assurer leur indépendance alimentaire ?

La solution : développer l’agriculture responsable

N’est-il pas possible de sortir de la boucle, de produire sans intrants chimiques, et sans être dépendant des énergies fossiles ? C’est là que l’agriculture biologique*, la bio-dynamique*, mais surtout la permaculture et l’agroécologie entrent en scène. Au mètre carré, leur rendement est bien supérieur à celui de l’agriculture conventionnelle : on ne pourra pas opposer à l’idée d’une transition vers l’agroécologie l’argument du manque d’espace. Olivier de Schutter a même montré, il y a déjà 6 ans, que le passage à l’agroécologie permettrait de doubler la production de régions entières, tout en luttant contre la pauvreté rurale et en apportant des solutions au réchauffement climatique.

Source photo : http://www.fermedubec.com/

Les techniques agricoles alternatives comptent sur la nature et ses ressources propres pour produire de manière durable et cyclique : pour eux il n’y a pas de déchets, car ceux-ci servent d’intrants naturels, et la biodiversité fait loi. Il s’agit de reproduire à l’échelle du champ ce que la nature fait très bien toute seule : les arbres cohabitent avec les élevages ou les cultures vivrières, les plantes se complètent, formant un écosystème autorégulé, où les pesticides et autres intrants chimiques sont parfaitement inutiles. Loin d’un retour en arrière (qui ose trouver la nature has-been ?), la transition vers ce type d’agriculture est essentielle pour l’avenir.

En France, l’exemple le plus célèbre est la ferme expérimentale du Bec Hellouin, qui fonctionne selon les principes de la permaculture. En dehors des nombreux exemples et témoignages disponibles sur le net, il n’existe pas encore de recensement officiel de ces exploitations. L’association Fermes d’Avenir en référence une quarantaine ayant accepté en échange de signer leur charte, mais on peut supposer qu’elles sont un peu plus nombreuse. En France, 83% des agriculteurs de moins de 35 ans se sont déjà engagés dans au moins trois démarches agroécologiques, selon le ministère de l’Agriculture. Le changement de pratiques pourrait donc venir des jeunes. D’ailleurs, ce chiffre peut aussi refléter l’expression d’une tendance nouvelle , celle des jeunes diplômés qui se lassent vite d’un métier auquel ils ne trouvent pas de sens, et renoncent à leurs salaires et à leur mode de vie urbain pour se tourner vers la production agricole durable ou l’artisanat. A l’image de Charles Hervé-Gruyer et en particulier de Perrine (ancienne juriste en droit international) qui ont créé la ferme du Bec Hellouin, ces personnes, qui lancent de petites exploitations en se formant sur le tas, le font précisément dans une démarche militante en faveur du développement durable. Il s’agit de redonner un sens à leur action en s’engageant concrètement, de leurs mains, au service d’un monde meilleur : un monde où l’on mange mieux, où la valeur du travail de l’agriculteur est reconnue, et où les écosystèmes ne sont plus menacés, mais préservés et deviennent résilients.

L’agriculture de demain au service des hommes

En effet, plus que de simples pratiques agricoles, ces alternatives au modèle industriel s’intègrent dans des réflexions plus larges, ce qui rompt complètement avec l’objectif unique de l’agriculture conventionnelle de produire plus en optimisant les coûts. L’écosystème mis en place doit dépasser le cadre de l’exploitation agricole, et intégrer la société tout entière. C’est notre niveau de vie élevé, et notre mode de vie urbain et pressé qui alimente le système actuel et nous en rend dépendant. Eloignés des campagnes, nous sommes aussi coupés de leur réalité. La solution, en fait, serait d’augmenter les prix, pour assurer une rémunération plus juste du travail des producteurs.

Source photo : http://www.fermedubec.com/

Si l’idée que réinvestir massivement dans les petits agriculteurs pour diminuer la pauvreté rurale fait consensus, cela demande un budget que n’ont pas les Etats et un investissement qui n’intéresse pas les grandes entreprises. D’après Olivier de Schutter, le facteur qui pourra le plus efficacement engager la volonté d’un changement de modèle, c’est la santé. Nombreux sont ceux qui l’ont déjà compris : il vaut mieux payer aujourd’hui le producteur pour le récompenser de son travail, plutôt que de payer demain pour une facture d’hôpital (c’est un enfant de 11 ans qui vous le dit), et plus généralement, pour les coûts énormes qu’engendreront sur le long terme la persistance d’un modèle qui s’essouffle.

Descartes écrivait dans le Discours de la Méthode que nous devions nous rendre « comme maître et possesseur de la nature » (extrait). On le cite souvent à tort lorsqu’il s’agit de critiquer ce modèle industriel qui prétend dominer la nature, la maîtriser pour la mettre au service des besoins (et des caprices) humains. Ce que Descartes souhaitait en réalité, c’est de mettre la science des lois de la nature au service du bien commun, en particulier de la santé de l’homme. Aujourd’hui, quatre siècles plus tard, nous savons que nos méthodes de production conventionnelles menacent l’environnement, notre propre santé et contribuent à la pauvreté des zones rurales ; mais nous savons aussi comment faire pour inverser cette tendance, en utilisant intelligemment les ressources que la nature met à notre disposition pour le bien de tous.

Pour aller plus loin :

Les rapports officiels sur le site d’Olivier de Schutter, en particulier « Agroecology and the Right to Food » (2011, disponible en français)

Des documentaires : Les moissons du futur (2012, par Marie-Monique Robin), Demain (2015, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent)

Un exemple célèbre en France : la ferme du Bec Hellouin (vidéo courte, site internet)

--

--